A l’occasion de l’année des Nations Unies sur les eaux usées, WIN publie une série de ‘blogs invités’ sur le sujet. Il s’agit la deuxième publication de la série. Restez connectés pour les contributions à venir! Si vous souhaitez participer, contactez-nous en envoyant un courriel à info (AT) win-s.org. Les opinions exprimées sur ce blog n’engagent que leurs auteurs.
La participation communautaire et l’activisme citoyen sont essentiels à la réussite de la gestion des cours d’eau ainsi que de leur propreté. Les citoyens sont les mieux placés pour exiger la redevabilité de la part des autorités et dirigeants politiques. Ils font souvent preuve d’innovation et d’ingéniosité lors des campagnes.
DES LETTRES D’AMOUR CONTRE LE DEVERSEMENT ABUSIF DES EAUX USEES
Un exemple intéressant concerne un mouvement citoyen contre le déversement des eaux usées qui s’est déroulé dans le bassin du fleuve Brantas en Indonésie. Il y a quelques années, Zaskia Dwi Aridhiyant, âgée de 17 ans, faisait partie d’un groupe de jeunes engagés dans la lutte contre la pollution des eaux. Elle a dirigé un mouvement inédit qui a permis de dénoncer la mauvaise gestion des eaux usées dans la périphérie de son école en lançant une campagne intitulée : ‘Lettre d’amour pour le Gouverneur’.
Zaskia a mobilisé 15 élèves de son école de SMAN Driyorejo, dont la tâche consistait à surveiller le déversement des eaux usées industrielles de la région. Muni d’un simple kit de test de qualité de l’eau et d’une caméra de bio-surveillance, le groupe a recueilli des échantillons qui ont révélé des niveaux élevés de polluants dangereux. Avec les résultats obtenus, les élèves ont envoyé des ‘Lettres d’amour’ aux industries polluantes, dénonçant les violations dont elles se sont rendues coupables. La lettre indiquait que si les industries prenaient des mesures pour gérer l’évacuation des déchets et répondaient à leur lettre, Zaskia leur enverrait des chocolats en signe de remerciement.
Plusieurs industries ont répondu à la lettre d’amour et se sont engagées à améliorer leur gestion des eaux usées. Mais plus de 60% des lettres sont restées sans réponse. Insatisfaite du résultat, Zaskia a porté son mouvement à un autre niveau. Elle a obtenu des soutiens en demandant aux habitants de signer sa lettre d’amour à l’intention au Gouverneur de Java oriental, Sukarwo. Chaque semaine pendant trois mois, Zaskia a mené campagne dans le parc de la ville pour recueillir des signatures pour sa lettre au Gouverneur. Elle a finalement réussi à recueillir plus de 500 signatures d’élèves et de citoyens.
(c) Ecoton
Après avoir recueilli les signatures, Zaskia a demandé audience au Gouverneur, à qui elle souhaitait remettre la lettre d’amour accompagnée de sa demande pour un environnement meilleur et plus sain. La lettre relatait ses préoccupations concernant le respect par les industries, des normes d’évacuation des eaux usées. Le Gouverneur a réagi en désignant un représentant pour recevoir la lettre d’amour. Touché par la lettre d’amour, le Gouverneur a promis d’améliorer le mécanisme de surveillance et de contrôle de la pollution industrielle et a fait de la réhabilitation du bassin du fleuve Brantas une priorité dans la province de Java oriental.
LA POLLUTION DU FELEUVE BRANTAS
Brantas est le deuxième plus grand bassin hydrographique de l’île de Java en Indonésie. Le fleuve traverse 17 communes, couvrant 25% du bassin versant de la province de Java oriental. Il constitue la source d’irrigation d’environ 10 000 rizières, dessert plus de 121 industries, 14 entreprises régionales d’approvisionnement en eau (PDAM) et 10 centrales hydroélectriques majeures [1]. Pour soutenir ces activités économiques et de subsistance, le bassin hydrographique a été divisé en deux zones de développement primaires, à savoir l’agriculture dans la partie centrale/supérieure et l’industrie en aval.
Dans la zone située en aval couvrant la ville de Surabaya et les régions environnantes, le développement industriel s’est fait sans le respect des mesures adéquates de contrôle de la pollution. Cela a entraîné une dégradation de la qualité de l’eau. L’étude du Plan d’action de contrôle de la pollution de la rivière Surabaya (1999) a conclu que la capacité de charge de la rivière Surabaya était de 65 tonnes de DBO/jour, mais que la charge totale de pollution était supérieure à 330 tonnes de DBO/jour, beaucoup plus que la capacité de charge normale. Les évacuations d’eaux usées industrielles provenant des usines de pâte à papier, de papier et de canne à sucre sont les principales sources de déchets et de produits chimiques mortels. Les produits chimiques tels que le pesticide organochloré [2], le plastique [3] et le retardateur de flamme bromé [4] ont tous été trouvés en aval de la rivière Surabaya.
La pollution de l’eau affecte de manière significative la biodiversité de la vie aquatique, ainsi que la santé et l’économie des communautés vivant le long du bassin du fleuve Brantas. La raréfaction des espèces de poissons les plus prisés et la diminution générale de la population de poissons ont eu un impact sur les revenus des pêcheurs de la zone. Selon une étude menée en 2011 par ECOTON, environ 50 espèces de poissons ont disparu au cours des cinq dernières décennies.
Très souvent, les industries ne respectent pas les normes d’évacuation ni bien d’autres règles. Par exemple, pendant la saison pluvieuse, certaines industries profitent de la montée des eaux du fleuve pour déverser leurs eaux usées non traitées ou mal traitées dans le fleuve. En outre, des canaux clandestins continuent de déverser les eaux usées non traitées ou mal traitées tout au long de l’année. D’autres violations importantes incluent le fait que les industries ne transmettent pas leurs rapports semestriels obligatoires à l’Agence de Protection de l’Environnent (EPA).
GESTION ENVIRONNEMENTALE ET PROGRAMMES D’EAU DU FLEUVE BRANTAS
Le Ministère Indonésien de l’Environnement et des Forêts (MEF)[5] a mis en œuvre deux programmes nationaux pour s’attaquer au problème de la pollution des eaux usées. Le programme Kali Bersih-PROKASIH visait à réduire la pollution des eaux à la source. Sur la période 2003-2008 du programme, 341 entreprises ont signé une déclaration dans laquelle elles s’engageaient à prendre des mesures pour réduire la pollution. Un autre programme appelé PROPER (Evaluation des performances des entreprises) visait à encourager les entreprises à se mettre en conformité en publiant des informations relatives à leur gestion environnementale. Ce programme a été moins efficace, car de nombreuses industries ne se sont pas conformées.
Actuellement, Water Patrol (Patrouille de l’eau) est un programme conjoint permanent visant à surveiller et à contrôler la pollution de l’eau, en particulier les eaux usées industrielles le long du bassin du fleuve Brantas. Le programme regroupe un certain nombre d’organismes gouvernementaux, dont les organisations de bassins hydrographiques, BBWS, JasaTirta 1, l’Agence de Protection de l’Environnement, les services de police, les conseils municipaux, l’agence de travaux publics et d’autres organismes similaires. Ce programme est considéré comme une réussite, car plusieurs acteurs sont impliqués dans le contrôle et la surveillance de l’évacuation d’eaux usées industrielles.
En dépit du fait que le programme Water Patrol est en cours, les industries continuent à évacuer clandestinement les eaux usées non traitées. Cela soulève d’importantes préoccupations en matière d’intégrité et souligne les lacunes institutionnelles qui empêchent les programmes tels que celui-ci de réaliser leur plein potentiel. Sur la base de l’expérience d’ECOTON, trois questions majeures méritent une attention particulière.
RECOMMANDATIONS POUR LA PROMOTION DE L’INTEGRITE ET LA LUTTE CONTRE LA POLLUTION PAR LES EAUX USEES
Renforcement des capacités institutionnelles: organismes environnementaux et de bassins versants
Tout d’abord, il est nécessaire de renforcer les capacités des agents de l’APE, car il est important d’avoir des dirigeants compétents au sein de cet organisme. Très souvent, les membres du personnel de l’APE sont nommés par le gouvernement et n’ont pas toujours les compétences nécessaires pour la diriger. Les publications de l’EPA sont souvent considérées comme des publications de complaisance. Ses dirigeants ne veulent pas prendre des mesures critiques impliquant des risques et susceptibles de provoquer des conflits. Il y a en outre eu des situations où les membres du personnel avaient exprimé la volonté d’élaborer des programmes plus performants et plus efficaces de lutte contre la pollution ou de donner suite à certaines affaires, mais ont été bloqués faute de soutien de leur hiérarchie.
Une autre difficulté est que l’APE ne dispose pas d’un Enquêteur d’Etat et ne dispose pas d’autorité réelle pour mener des enquêtes sur la pollution. L’APE est confrontée à un déficit de personnel et dépend souvent de l’APE régionale ou du Ministère de l’Environnement et des Forêts. Sans Enquêteur d’État, les industries peuvent facilement dissimuler les preuves, ce qui constitue une entrave à la transparence et à la redevabilité.
Prévention des dérives professionnelles et promotion de la gestion de l’intégrité
Deuxièmement, il est essentiel de réduire les opportunités de dérives professionnelles. Au cours d’une conversation privée, des propriétaires et dirigeants d’usine ont déclaré à ECOTON que des policiers peu scrupuleux avaient proposé de réduire les charges contre les contrevenants lors des poursuites pour pollution des eaux, en échange d’argent ou de biens matériels. Les coûts liés aux poursuites judiciaires sont beaucoup plus élevés (en raison des actes de corruption et de chantage), que ceux liés à la construction ou à l’amélioration des infrastructures de traitement des eaux usées. Dans un autre cas, des policiers ont utilisé des rapports de plaintes établis par des ONG pour faire chanter des propriétaires d’usine.
Une solution pour réduire les abus consiste à impliquer les médias: publication d’écrits dans lesquels les identités des contrevenants industriels seraient révélées grâce à des preuves constitués d’images et de données factuelles. Alternativement, des lettres de plainte peuvent être envoyées aux APE au niveau provincial et municipal, pour dénoncer, preuve à l’appui, des cas de violations. Les propriétaires d’usine peuvent redouter une mauvaise publicité et par conséquent être prêts à respecter davantage les lois.
La gestion de l’intégrité, axée sur la prévention des risques d’intégrité est également un outil important pour réduire les opportunités d’abus. De concert avec cewas, WIN a lancé un projet pilote visant à appliquer la Boîte à outils de gestion de l’intégrité des bassins fluviaux à l’Organisation du bassin du fleuve Brantas en 2015. L’initiative, qui mérite d’être ‘approfondi, est une nouvelle piste de collaboration pratique qui permettra aux parties prenantes d’aborder le sujet de la qualité de l’eau et de la pollution dans le bassin.
Accompagner l’engagement de la communauté
Enfin, un mécanisme de réponse plus efficace et une plus grande participation de la communauté sont indispensables. Les communautés sont trop souvent exclues de la planification des projets et ne participent pas au suivi de leur mise en œuvre, bien qu’elles soient les plus directement touchées et concernées par la pollution de l’eau et la gestion des ressources en eau du bassin.
Les communautés et les institutions gouvernementales ont noté les réactions souvent lentes de l’APE à leurs plaintes et revendications. La lenteur des réponses a poussé de nombreux informateurs et communautés à se sentir négligés et discrédités par l’APE. Il est important que des mécanismes de réaction plus rapides et plus efficaces aux plaintes soient élaborés pour assurer la sensibilisation des communautés.
Le manque de sensibilisation et de participation des communautés aux projets est essentiellement dû au manque d’informations et d’engagement actif dans la gestion des bassins fluviaux. Les communautés se sentent exclues de la planification de la gestion des fleuves. La plupart des programmes sont planifiés depuis le sommet, et ne sont pas développés en fonction des besoins des communautés. Un exemple patent est celui d’un programme visant à réduire la défécation dans les rivières. Le gouvernement a construit des infrastructures d’assainissement communales, mais beaucoup d’entre elles n’ont pas été utilisées parce qu’elles n’avaient pas été construites dans des endroits appropriés, qu’elles étaient mal conçues ou qu’elles n’étaient pas entretenues. Ces infrastructures ne répondaient pas aux besoins des communautés. La participation des communautés dès le début de la phase de planification est cruciale. Cela signifie que la planification doit se faire par et pour la communauté, ce qui leur permet de développer un sentiment d’appartenance à l’égard des programmes. Cela contribue à assurer la durabilité.
Les communautés ont également un rôle important à jouer dans le suivi des programmes et la redevabilité qu’ils sont en droit d’exiger des gouvernements et des industries. Les lettres d’amour de Zaskia Dwi Aridhiyant montrent que cela est possible et peut être efficace, mais nécessite un suivi et de la persévérance. Il est essentiel de soutenir les actions des ONG travaillant avec les communautés tout comme celui de veille citoyenne des champions de l’intégrité de l’eau tel que Zaskia.
ECOTON considère que les enfants ou les jeunes sont des victimes vulnérables de la dégradation de l’environnement et surtout de la pollution des eaux. C’est pourquoi nous nous efforçons de les aider à disposer d’informations et de compétences pour surveiller de manière indépendante la qualité des eaux et de renforcer leurs capacités à poser des actes en vue de résoudre les problèmes. Ils peuvent faire la différence.
(c) Ecoton
A propos d’ECOTON
ECOTON signifie ECOLOGICAL OBSERVATION AND WETLAND CONSERVATION (Observation écologique et conservation des zones humides). L’organisation est basée dans le village de Wringinanom, à Gresik Regency. Créé en 1998, ECOTON travaille sur les problèmes de réhabilitation des fleuves depuis 19 ans. ECTON utilise des actions litigieuses et non litigieuses comme approches fondamentales pour accroître la sensibilisation et la participation des différents acteurs à la conservation du fleuve Brantas. L’approche non litigieuse consiste en des activités de recherche, de lobbying, de plaidoyer et d’éducation. ECOTON engage des actions litigieuses uniquement suite de l’échec des approches non litigieuses. Les litiges sont en outre utilisés comme un moyen d’ouvrir des négociations avec des institutions gouvernementales ou les entreprises/industries.
ECOTON travaille avec les jeunes afin de les sensibiliser sur l’importance de leur participation à la pérennité de l’eau potable. ECOTON a formé des centaines d’étudiants à la surveillance de la qualité de l’eau à l’aide de punaises d’eau (bio-surveillance). Cette technique de surveillance simple et facile développée il y a 10 ans, permet à toute personne de participer activement au contrôle de la pollution industrielle ou domestique.
[1] Ministère des travaux publics. Plan de gestion des ressources en eau – Bassin du fleuve Brantas. 2010. Page 101
[2] Sudaryanto A, Takahashi S, et Tanabe S. Chapitre 13: Substances toxiques persistantes dans l’environnement rn l’Indonésie. Dev. In Environ Sci. 2007. 7: 587 – 627
[3] Darmawanti R. Analyse des composés ostrogéniques dans les sédiments de la rivière Surabaya et leur impact sur l’intersexualité du poisson-chat à la queue rouge asiatique (Hemibagrusnurus). 2013. Thèse. Université Airlangga. 104 pages
[4] Ilyas M, Sudaryanto A, SetiawanI.E, Riyadi A.S., Isobe T, Takahashi S, Tanabe S. Caractérisation des BPC et BFR dans les sédiments des eaux riveraines et côtières de Surabaya, en Indonésie. Bulletin de sondage maritime. 2011. 62: 89-98
[5] Le Ministère de l’Environnement et des Forêts définit la politique nationale pour l’évacuation des eaux usées industrielles et domestiques. D’autres ministères (par exemple, l’Industrie, les Affaires maritimes et la Pêche) sont responsables de la mise en œuvre de la politique de gestion de l’environnement dans leur secteur, tandis que les agences gouvernementales locales de mise en œuvre sont chargées de délivrer les permis et de surveiller les évacuations. Les gouverneurs exercent l’autorité de de contrôle de la pollution de l’eau, mais la mise en œuvre relève de la responsabilité du chef de l’Agence de Protection de l’Environnement (APE).