En 2017, dans le monde, seules sept personnes sur dix avaient accès à des services d’approvisionnement en eau décents contre quatre sur dix à des services d’assainissement décents. Toutefois, les financements du secteur de l’eau sont inférieurs à ce qui est nécessaire pour progresser et atteindre l’Objectif 6 de développement durable. Attirer de nouveaux financements est un défi majeur et communément reconnu pour le secteur WASH.
Les analystes et les parties prenantes du secteur soutiennent régulièrement que la mauvaise gouvernance est un obstacle majeur à l’attraction des investissements (GIZ, 2018 ; Banque mondiale, 2017). La corruption et le manque d’intégrité dans le secteur WASH sont des éléments importants d’une mauvaise gouvernance. Malheureusement, ils ne sont généralement mentionnés— le cas échéant— qu’à titre de facteurs dans l’équation. Ils devraient cependant être examinés plus en détail. Des estimations sérieuses indiquent que le secteur mondial de l’eau perd chaque année plus de 75 milliards de dollars US du fait de la corruption. Nous ne pouvons pas nous permettre d’ignorer ces chiffres.
Une optique d’intégrité offre une nouvelle perspective quant au défi que représente la mobilisation des investissements. Elle souligne une condition préalable essentielle : pour combler le déficit de financement du secteur de l’eau, nous devons dépenser les fonds disponibles de manière plus efficace et plus équitable. Il s’agit là d’un autre défi de taille, que nous pouvons cependant relever grâce à des mesures d’intégrité ciblées.
Le manque d’intégrité contribue à l’inefficacité des investissements
Par la fraude, le détournement de fonds ou les pots-de-vin, l’argent s’échappe du secteur du WASH au lieu d’être utilisé aux fins prévues. Ceci est évidemment inefficace. Malheureusement, il n’existe pas de modèle standard de manque d’intégrité et les incitations perverses peuvent être difficiles à repérer.
L’OCDE a identifié les marchés publics comme l’activité gouvernementale la plus vulnérable au gaspillage, à la fraude et à la corruption en raison de l’importance des flux financiers. La collusion entre les maîtres d’ouvrage et les soumissionnaires, les pots-de-vin, le trucage et la suppression d’offres sont des exemples relativement courants de corruption inhérents à la mise en œuvre de toutes les infrastructures, y compris d’eau et d’assainissement. Par conséquent, les projets deviennent plus coûteux qu’ils ne devraient l’être. Ils ne sont pas construits conformément aux normes et s’effondrent plus tôt qu’ils ne le devraient, si toutefois ils deviennent pleinement opérationnels.
Il y a en outre de sérieux problèmes d’intégrité lors des phases de planification et de conception du des infrastructures, ce qui peut être encore plus dommageable. Les acteurs impliqués, l’emplacement, la taille et les spécifications techniques d’un projet de développement sont tous autant d’éléments qui peuvent être manipulés pour satisfaire des intérêts personnels ou politiques, au risque de menacer la durabilité technique, financière ou environnementale et l’impact social.
Par exemple, il n’est pas rare qu’une solution technique soit conçue par des consultants qui soumissionnent également pour la réalisation de projets identiques ou similaires. Cela signifie que ces consultants ont intérêt à concevoir des solutions plus grandes plutôt que plus petites ou plus simples. Des considérations politiques et des intérêts particuliers peuvent également conduire à la réalisation d’infrastructures inappropriées. Un exemple typique est celui d’un projet de plus grande envergure planifié dans la région d’origine d’un politicien ou utilisé pour influencer les opinions et les votes. Les investissements à grande échelle peuvent également être objets de corruption de plus grande ampleur en raison des marges plus importantes et des opportunités de recherche de rente.
La réalisation de nombreux petits projets peut également être problématique. Des données provenant du Kenya suggèrent que les assemblées des gouvernements locaux ont tendance à répartir équitablement les budgets de l’eau en votant par région géographique, indépendamment de la population ou des inégalités dans les niveaux de service. De nombreux forages et autres petits projets sont ainsi réalisés, mais ils ne sont pas toujours techniquement et financièrement durables. Dans de tels cas, des projets moins nombreux et de plus grande envergure visant à « ne laisser personne de côté» dans les régions mal desservies pourraient être plus efficaces.
Les risques liés à l’intégrité minent la confiance des investisseurs
« L […]’important, c’est la gouvernance. Pas seulement de nos décideurs et régulateurs, mais surtout de la gouvernance des services publics, qui sont très vulnérables aux changements politiques. »
– Sergio Campos, Chef de la Division Eau et Assainissement à la Banque interaméricaine de développement
Les hauts responsables du secteur de l’eau de la Banque mondiale, de la Banque interaméricaine de développement et de la Banque africaine de développement ont souligné que la mauvaise gouvernance et le manque de transparence et de redevabilité des services publics constituaient des problèmes majeurs dans leurs programmes de prêts non souverains aux services publics. Les services publics eux-mêmes doivent être solvables et capables de défendre leurs antécédents pour avoir accès à de tels prêts qui ne sont pas garantis par l’État central. Le manque d’intégrité et les soupçons de manque d’intégrité empêchent un trop grand nombre de services publics de fonctionner.
Par exemple, les signaux d’alerte pour les investisseurs comprennent : les dépenses inutiles effectuées par les conseils d’administration (souvent remplis de personnes nommées par les instances politiques) et différentes formes de transgressions politiques dans les processus de passation de marchés, les décisions de gestion et la fixation des tarifs (par exemple, le maintien de tarifs anormalement bas, surtout en période électorale), le favoritisme dans la gestion des ressources humaines, les irrégularités financières, la mauvaise tenue des dossiers ou les mandats imprécis sont tout aussi problématiques.
Ces risques sont liés à la gouvernance et aux contrôles institutionnels. D’autres risques sont liés au les services publics qui sont généralement des entreprises entièrement ou partiellement publiques. Ces services publics sont confrontés à la réelle difficulté d’allier leur viabilité commerciale et leur rôle d’instruments de politique publique pour l’eau et l’assainissement. Si les gouvernements (locaux), en tant que garants du respect du Droit humain à l’eau et à l’assainissement, doivent pouvoir exercer un certain contrôle sur la manière dont ces services sont fournis, ils sont également enclins à utiliser indûment les services publics de l’eau et les sociétés de développement d’actifs pour des gains politiques ou financiers.
Au même moment, ces services publics ne sont pas nécessairement soumis aux mêmes mécanismes de transparence, de surveillance et de contrôle que les autres institutions gouvernementales. Leurs plans et états financiers ont tendance à être moins accessibles au public, et les mécanismes de participation du public et de rapportage moins élaborés.
Mesures d’intégrité pour améliorer l’efficacité et le rendement : mesures d’intégrité pour attirer les financements
Les mesures d’intégrité peuvent contribuer directement à accroître l’efficacité financière en freinant la corruption et la mauvaise gestion dans la mise en œuvre des investissements. L’intégrité peut également contribuer à des gains plus importants en s’attaquant aux incitations perverses et à l’influence indue des groupes d’intérêts particuliers dans la planification et la conception des solutions d’infrastructure.
Il est important de noter que l’intégrité peut également contribuer à renforcer la confiance des usagers envers les débiteurs d’obligations — une condition pour que les tarifs soient compris et acceptés et pour améliorer la solvabilité des prestataires de services —condition pour attirer de nouveaux financements.
Des mesures d’intégrité sont nécessaires aux niveaux local et national pour renforcer la gouvernance sectorielle, mais aussi, et ceci est essentiel pour les nouveaux financements, au niveau des institutions sectorielles individuelles et des services publics en particulier. Les mesures d’intégrité reposent sur quatre principes clés : Transparence, Redevabilité, Participation et Lutte contre la corruption. Elles devraient être élaborées à partir d’une analyse des risques qui identifie et priorise les risques spécifiques auxquels les parties prenantes sont confrontées. La contextualisation est cruciale.
En voici quelques exemples clés :
- La divulgation publique de données sur l’allocation et l’exécution du budget, ainsi que sur la conception des projets, les contrats et les entrepreneurs importants (et leur propriétaires) peut permettre un contrôle efficace par des individus et des institutions de surveillance, si elle est associée à des mécanismes permettant à ces acteurs de participer à la prise de décision. Le système INFOBRAS du Pérou est un exemple intéressant en matière de divulgation. Il s’agit d’une plateforme de surveillance ouverte sur le Web qui fournit des données et des informations sur l’exécution, le financement, le calendrier, les dépenses d’exploitation et l’entretien des travaux publics.
- La supervision par des organismes de surveillance externes et indépendants, y compris les organismes de réglementation et les institutions de vérification, qui peuvent surveiller les processus de passation de marchés, aider à détecter les irrégularités au moyen d’audits financiers et contribuer à accroître l’efficacité à travers les audits de performance. AFROSAI-E a, par exemple, développé une approche d’audit qui vise à fournir des résultats tangibles aux communautés locales.
- La participation du public et le contrôle par la société civile des budgets et des plans, et même de la construction sont des mesures puissantes pour aider à détecter les actes répréhensibles (détournements de fonds, irrégularités des contrats, utilisation de matériaux non conformes aux normes de construction…), à établir des priorités en matière d’investissements et à bâtir la confiance. Les mécanismes de plaintes peuvent être des moyens importants de permettre une telle participation. Au Bangladesh, par exemple, le suivi des projets d’adaptation aux changements climatiques par la société civile a révélé des problèmes d’intégrité et permis de renforcer les procédures de planification. Dans le comté de Makueni, au Kenya, plus de 50 % de tout le budget a été alloué à l’eau dans le cadre de la budgétisation participative, car l’eau est la première priorité de la population.
- La définition de critères et de procédures transparents pour les décisions d’investissement, la passation de marchés, la fixation des tarifs ou même l’allocation budgétaire peut réduire les biais et les possibilités de corruption. A titre d’exemple, l’expérience positive de l’Éthiopie montre qu’une formule d’allocation budgétaire transparente et fondée sur des données probantes qui donne la priorité aux zones mal desservies afin d’accroître l’équité, peut réduire les allocations biaisées (qui pourraient favoriser les intérêts particuliers) et encourager les donateurs à utiliser les systèmes nationaux.
- L’automatisation et la numérisation de certains processus et opérations à risque élevé, par exemple par la passation de marchés par voie électronique, l’analyse automatisée des signaux d’alerte ou l’utilisation de Systèmes d’information de gestion financière (qui peuvent aider à suivre l’exécution du budget et à renforcer les rapports publics) peuvent aider à détecter les actes fautifs et permettre des réponses rapides. L’initiative BOOST de la Banque mondiale en est un exemple intéressant.
- La définition et le respect des engagements et des pactes de lutte contre la corruption, en tant que politique institutionnelle, dans les contrats ou dans les marchés publics, sont d’importants facteurs de motivation pour lutter contre la corruption. Par exemple, en 2015, Direction nationale de l’eau et de l’assainissement du Salvador a mis en œuvre un pacte d’intégrité avec les soumissionnaires pour trois projets de remplacement des canalisations afin de prévenir les pratiques de corruption. Le suivi du pacte a été assuré par la Fondation pour les études sur l’application de la loi au Salvador (FESPAD) et la Facilité Gouvernance de l’eau du PNUD au SIWI.
- La transparence et le contrôles des ressources humaines, en particulier lorsque les nominations sont faites par les décideurs gouvernementaux, sont importants et doivent être dans l’idéal, combinés à des mécanismes d’application, dont quelques exemples incluent de veiller à ce que les membres des conseils d’administration et les cadres supérieurs des services publics aient les qualifications techniques adéquates, que ces conseils comprennent des membres indépendants et nommés au mérite et avec la participation du public, ou définissent des systèmes clairs de rémunération et de promotion. Au Kenya, le Conseil de réglementation des services d’eau (WASREB) a élaboré des lignes directrices réglementaires pour la gouvernance d’entreprise et les procédures de nomination des conseils d’administration.
La corruption siphonne les ressources du secteur de l’eau. Il ne sert à rien de se voiler la face. Des mesures d’intégrité proactives et ciblées peuvent favoriser des dépenses plus efficaces et aider à combler le déficit de financement du secteur de l’eau. Ces mesures doivent être intégrées aux plans d’investissement et aux stratégies de financement du secteur de l’eau et de l’assainissement et devenir des pratiques courantes pour la gouvernance des services publics. La première étape, et la plus urgente, est l’évaluation complète des risques d’intégrité.