Les Objectifs de développement durable (Objectif 6) appellent à un accès universel et équitable à l’eau potable et abordable pour tous d’ici 2030, à l’accès à un assainissement et à une hygiène adéquats et équitables pour tous, et à la fin de la défécation en plein air, à travers une attention particulière aux besoins des femmes, des filles et des personnes vulnérables.
Cela nécessite le développement et l’entretien de systèmes efficaces d’eau, d’assainissement et d’hygiène (WASH). Il ne s’agit pas simplement de tuyaux et de tubes.
Le système WASH, selon l’IRC, comprend « tout un réseau de personnes, d’organisations et d’institutions (acteurs) ainsi que les infrastructures, les ressources et les comportements (facteurs) qui fournissent des services WASH. Le système WASH existe dans l’économie politique au sens large et interagit avec d’autres secteurs ». L’adoption d’une approche systémique englobe « toute une gamme de méthodologies qui utilisent la pensée systémique pour s’informer et induire le changement. Le fil conducteur est un effort pour rendre l’ensemble du système – chacun de ses composants et leurs interactions – plus efficace pour atteindre le résultat souhaité. »
Les systèmes WASH, lorsque l’on les examine de près, se composent de nombreux sous-systèmes et de méta-systèmes qui se chevauchent et interagissent, y compris des systèmes physiques, institutionnels, politiques, sociaux, financiers etc. Trouver des solutions durables à la crise du WASH nécessite que ces sous-systèmes soient synchronisés. Cela nécessite une volonté de travailler de façon interdisciplinaire et une nouvelle façon de penser et de décrire les problèmes.
Le défi est de trouver le juste équilibre entre une bonne dose de simplicité – pour pouvoir comprendre et gérer le système – et une bonne dose de complexité – pour ne pas perdre de vue les nuances et la complexité des interactions. Cela exige d’opérer des choix judicieux:
- En identifiant les aspects les plus pertinents du système du problème à résoudre,
- En délimitant les limites pertinentes pour un contexte particulier
Le système parallèle
L’un des sous-systèmes qui ne sont pas suffisamment abordés souvent – ou qui sont délibérément omis – est le système parallèle de corruption. Ce système parallèle existe dans les systèmes WASH à travers le monde entier. Il détourne l’argent et l’eau, sape les compétences et les capacités, empêche d’atteindre l’Objectif de développement 6 et contribue à la violation continue du Droit de l’homme à l’eau et à l’assainissement. Il est actif, présent et souvent habilement géré par les personnes concernées.
En ne nous attaquant pas au système parallèle, nous compromettons notre capacité à faire fonctionner les systèmes d’eau et d’assainissement et à réaliser les objectifs de développement
Le système parallèle de corruption
Ce système parallèle prend plusieurs formes:
- Les projets d’infrastructures, notamment hydroélectriques, sont vulnérables à la corruption et à la collusion dans le secteur privé. (L’industrie de la construction est considérée comme l’une des plus corrompues au monde.)
- Les intérêts financiers personnels des responsables peuvent être en concurrence avec leurs missions publiques. En Afrique du Sud, par exemple, il ressort que certains politiciens et fonctionnaires municipaux possèdent des camions citernes et ont donc un intérêt financier dans la défaillance des systèmes d’eau courante.
- Les allocations d’eau peuvent être détournées vers ceux qui ont de l’argent, le pouvoir et accès aux décideurs.
- Les décisions sur le lieu de mise en œuvre des projets d’eau et d’assainissement peuvent être biaisées par des impératifs politiques, l’appartenance ethnique, la religion ou d’autres influences. Il en résulte une incapacité à fournir des services à ceux qui ne répondent pas à ces critères arbitraires.
- Le refus d’appliquer les dispositions relatives à l’octroi de permis d’exploitation et à la pollution peut refléter un manque d’intégrité, ou l’existence d’une corruption active. Des particuliers peuvent être contraints de payer des pots-de-vin pour avoir accès aux services, ou choisir de payer des pots-de-vin pour obtenir la réduction de leurs factures d’eau. Les femmes et les filles sont victimes d’une vulnérabilité particulière à ce niveau, la sextorsion les obligeant à livrer leur corps à des responsables masculins en échange d’un accès à des services abordables.
Quelles que soient leurs formes, la corruption et le manque d’intégrité dans le secteur de l’eau entraînent des coûts plus élevés et un accès réduit à l’eau, en particulier pour les pauvres et les plus vulnérables. De telles actions réduisent la durabilité des services d’eau et d’assainissement et des institutions de services d’eau. Elles contribuent à une distribution inéquitable des ressources en eau, à une sécurité hydrique réduite, à une pollution non contrôlée et illégale, à une surexploitation des eaux souterraines, à la dégradation des écosystèmes et à la violation du droit à l’eau et à l’assainissement.
Trop sérieux pour être ignoré
Les coûts réels de la corruption et du manque d’intégrité sont difficiles à mesurer car, de par leur nature, ces transactions se déroulent dans l’ombre, sans laisser de traces. Seule une petite partie de l’iceberg émerge et voit le jour. Les estimations suggèrent cependant qu’elles augmentent les coûts de 10 à 45%.
Selon le Rapport mondial sur l’intégrité de l’eau 2016, entre 770 et 1 760 milliards de dollars sont nécessaires chaque année pour le développement des ressources et services d’eau dans le monde. Une perte de 10% équivaut déjà à une perte de 80 à 170 milliards de dollars par an. Il s’agit uniquement d’une estimation des coûts financiers directs de la corruption, et non des coûts sociaux et environnementaux indirects tels que les impacts négatifs sur la santé et la productivité, et l’augmentation du temps de collecte de l’eau.
Une étude récente sur l’identification et la réduction de la corruption dans les marchés publics de l’UE, réalisée par PWC, a révélé que 27% des projets analysés impliquaient des pots-de-vin et que 14% étaient caractérisés par un forme de corruption de type ‘conflit d’intérêts’. Bien que l’étude ne soit pas spécifique au secteur de l’eau, elle incluait les secteurs de l’eau et des déchets. L’étude a également révélé qu’en moyenne, la probabilité de corruption est estimée plus élevée dans le secteur de l’eau et des déchets que dans les autres secteurs et varie entre 25% et 35%. Les coûts directs estimés de la corruption dans les marchés publics dans le secteur de l’eau et des déchets variaient —selon des études réalisées dans les huit États membres—entre 27 et 38 millions d’euros (soit entre 1,8 et 2,5% du montant total alloué).
Le Mur de l’Intégrité
La lutte contre la corruption et le manque d’intégrité est un élément essentiel du bon fonctionnement des systèmes d’eau et d’assainissement et de l’atteinte des objectifs de développement. Le Mur de l’intégrité–qui repose sur quatre piliers: transparence, redevabilité, participation et mesures anti-corruption– décrit des solutions permettant d’avancer et d’éliminer la corruption. Le Réseau d’Intégrité de l’eau développe et utilise une série d’outils liés à ces piliers pour renforcer les capacités des organisations de la société civile, des gouvernements et du secteur privé.
Il existe de nombreux exemples de la manière dont la corruption et le manque d’intégrité ont été traités à différents niveaux, à travers la Transparence, la Redevabilité, la Participation et la Lutte contre la corruption. Par exemple:
- Kenya Water Services Trust Fund (Fonds en fiducie des Services des eaux du Kenya) a développé un système appelé Maji-data disponible gratuitement en ligne et qui montre tous les projets qu’il a financés à travers le pays.
- Guma Valley Water Company (Société des eaux de la vallée de Guma) en Sierra Leone a pris le contrôle de son système de facturation en comparant l’utilisation de l’eau et les paiements effectués sur une période donnée, mettant ainsi fin à un système parallèle de réduction des factures d’eau en échange de paiements personnels. Cela a entraîné non seulement l’augmentation des revenus de la société, mais également un meilleur profil d’investissement pour les donateurs et les autres investisseurs.
La recherche fournit en outre de nouvelles perspectives. Elle montre par exemple que le Genre et la diversité dans les conseils d’administration et dans la gestion réduisent le risque de corruption car ils servent à briser les idées et les attitudes de groupe.
Cependant, la corruption reste globalement un fléau qui « a la peau dure ». C’est une ombre sombre sur laquelle nous devons braquer les projecteurs alors que nous nous acheminons progressivement vers 2030 et l’objectif de fournir de l’eau et de l’assainissement à tous.