Posté par le Réseau d’Intégrité de l’Eau, WaterAid, l’IRC WASH, le PME, le SIWI, l’IWMI, Water Witness International, End Water Poverty, Shahidi wa Maji, et le PNE Benin, BAWIN, et Sanitation and Water for All, avec des contributions de Sareen Malik (Coordinateur et Secrétaire du Conseil du Réseau de la société civile africaine sur l’eau et l’assainissement), et Robert Gakubia (PDG du Conseil de régulation des services de l’eau du Kenya).
La crise de la COVID-19 a considérablement exacerbé la vulnérabilité de millions de personnes dont les droits fondamentaux à l’eau et à l’assainissement n’ont pas été respectés.
La pandémie de COVID-19 a révélé la dure réalité des personnes n’ayant toujours pas accès à un approvisionnement fiable en eau potable et ne disposant pas de logements décents dans lesquels elles peuvent se mettre à l’abri de l’infection en toute sécurité. Il y a deux messages sur la manière de minimiser la propagation du Coronavirus : observer la distanciation physique et se laver les mains régulièrement avec de l’eau et du savon.
“Se laver les mains, un geste simple, mais essentiel pour stopper la transmission des maladies infectieuses et sauver des vies”
– Oliver Schmoll, Directeur du Programme Eau et Climat au Centre européen de l’OMS pour l’environnement et la santé à Bonn, en Allemagne.
Et pourtant, au niveau mondial, une personne sur trois n’a pas accès à l’eau potable et près de la moitié de la population ne dispose pas d’installations sanitaires décentes, au moins en partie à cause de la corruption et de la mauvaise gestion qui prévalent dans le secteur.
Les gouvernements du monde entier intensifient les mesures visant à ralentir les infections
En réponse à cette crise, des individus et des organisations ont pris des mesures visant à combler les lacunes inhérentes aux services et à accroître la disponibilité d’eau potable et de savon pour le lavage régulier des mains, afin d’éviter une plus grande propagation du Coronavirus. Si ces réponses innovantes et cette solidarité sont à saluer, il n’en demeure pas moins que les gouvernements, en tant que responsables, ont l’obligation première de gérer la crise, notamment en facilitant l’accès à l’eau, à l’assainissement et à l’hygiène.
Par exemple, les gouvernements d’un certain nombre de pays ont adopté des mesures ciblées pour suspendre ou payer les factures d’eau et/ou arrêter la déconnexion des compteurs des familles pauvres. D’autres pays ont pris des mesures pour améliorer l’accès aux services WASH, en particulier au profit des communautés vulnérables. Actuellement, des milliards de dollars sont investis dans des mesures d’urgence en réponse à la crise de la COVID-19, notamment dans le secteur de l’eau. Il est intéressant de noter qu’au Kenya, des fonds de programmes gouvernementaux de lutte contre la corruption ont été consacrés à la fourniture d’eau et d’autres services de base aux communautés vulnérables dans le cadre de cette crise.
Cependant, les gouvernements sont confrontés à d’énormes défis dans la mise en œuvre urgente de telles mesures au profit de populations qui n’ont pas de système d’eau courante, qui vivent dans de mauvaises conditions d’hygiène et qui ne sont pas toujours desservies par les prestataires de services officiels. Il est fondamental d’améliorer l’accès à l’eau dès aujourd’hui – pour aider à contrôler l’épidémie – et de manière durable à long terme, une fois la pandémie maitrisée, ce qui nécessite un soutien international et une attention particulière à la bonne gouvernance, à l’intégrité, à la redevabilité et à la transparence.

Photo: Hossain Ismail, candidat au Concours photo WIN 2011
L’intégrité est essentielle, surtout en temps de crise
L’intégrité exige que le pouvoir et les ressources de l’État soient utilisés de manière éthique et honnête, dans ce cas précis, pour assurer des services d’eau et d’assainissement durables et équitables. L’intégrité repose sur quatre piliers : la transparence, la redevabilité, la participation et la lutte contre la corruption. Partout dans le monde, la corruption et le manque d’intégrité ont exacerbé l’incapacité de fournir des services aux personnes les plus vulnérables, renforcé les inégalités existantes en matière d’accès à l’eau et à l’assainissement, détourné les ressources de là où elles sont le plus nécessaires et réduit la qualité, la disponibilité et la durabilité des services.
Au cours de ces dernières décennies, un travail considérable a été fait en vue d’améliorer la redevabilité, la participation et la transparence dans le secteur de l’eau et de l’assainissement, et de réduire la corruption. Le défi, en cette période de crise, est de protéger ces avancées et d’en tirer parti. Les expériences passées et présentes montrent que la menace est à la fois grave et bien réelle, et pas uniquement dans les pays où les systèmes de redevabilité gouvernementale sont faibles: l’US Government Accountability Office (organisme de contrôle des comptes publics) estime qu’environ 1 milliard de dollars de fonds d’intervention d’urgence ont été utilisés de manière abusive ou acquis de manière frauduleuse après l’ouragan Katrina. Les autorités allemandes ont dû interrompre temporairement les subventions d’urgence COVID-19 pour les petites entreprises en raison de risques de fraude massive. Certains utilisent les situations d’urgence pour profiter des personnes faibles et vulnérables.
L’approche adoptée peut exacerber OU réduire les risques d’intégrité
Afin d’offrir des services dans le cadre de la crise de la COVID-19, les gouvernements et les structures étatiques invoquent, à juste titre, des procédures conçues pour permettre une exécution rapide en cas d’urgence. Cependant, la prestation de services dans des conditions d’urgence peut, volontairement ou involontairement, conduire à la corruption, au manque d’intégrité et à la réduction des pratiques de redevabilité et de transparence qui ont pu être mises en place au fil des ans.
Selon U4, “l’on a déjà assisté à une vague d’incidents de corruption, à une altération de la transparence et de la redevabilité, ainsi qu’à une propagande politique manipulatrice dans le monde entier”. Au Brésil , pour ne citer que cet exemple, les médias ont révélé l’acquisition en urgence par le gouvernement, de masques chirurgicaux à des coûts 12 fois plus élevés que ceux du marché, auprès d’une entreprise liée au président, alors que d’autres sociétés proposaient des prix plus attractifs.
Il est tellement facile, en temps de crise, de fouler au pied certains principes de bonne gouvernance, ou même que la crise soit utilisée par ceux qui ont des intérêts particuliers, pour imposer des changements, pas nécessairement pour le bien à long terme des populations.
La question se pose alors de savoir ce qui peut être fait pour garantir une fourniture durable d’eau et d’assainissement aux plus vulnérables dans les zones rurales et urbaines, sur la base des quatre piliers que sont la transparence, la redevabilité, la participation et la lutte contre la corruption.
“La leçon que nous devons tirer en tant que responsables du secteur Eau-Assainissement-Hygiène est que nous devons créer une nouvelle norme, caractérisée par ‘l’indignation’ face aux inégalités persistantes dans la fourniture de services WASH qui font que les messages de santé publique n’ont aucun sens, mais exigent également que les actions soient fondées sur l’intégrité et la redevabilité entre autres valeurs .”
– Robert Gakubia, PDG, Water Services Regulatory Board, Kenya
Maintenir la redevabilité, la transparence, la participation et l’inclusion sociale lors des interventions
Nous avons mis en évidence un certain nombre d’actions visant à aider les gouvernements à garantir que la redevabilité et l’intégrité soient au moins maintenues, et au mieux améliorées, pendant et après cette situation d’urgence, et qu’elles s’inscrivent dans un programme de respect du droit humain à l’eau et à l’assainissement pour tous.
1 – Elaborer les interventions en impliquant les communautés affectées:
L’élaboration de mécanismes d’intervention en collaboration avec les communautés affectées est inclusive et reconnaît leur rôle. Elle permet de mieux répondre aux défis culturels, sociaux et religieux spécifiques et de satisfaire efficacement les besoins des personnes vivant avec des handicaps et les autres groupes marginalisés. Il est possible de trouver des solutions innovantes pour le faire à distance et dans des langues que les populations comprennent.
Le programme Asivikelane en Afrique du Sud fournit un exemple remarquable de personnes vivant dans des habitations informelles et qui surveillent la fourniture de services d’eau et d’assainissement dans leur communauté, tenant ainsi le gouvernement responsable. Les informations obtenues sont transmises aux structures concernées de l’État afin de faciliter les améliorations. Cet outil peut permettre d’exiger des comptes du gouvernement non seulement pendant la crise de la COVID-19, mais également au-delà.

Photo: Capture d’écran du Tableau de bord d’Asivikelane (Afrique du Sud)
En Éthiopie, EthioTelecom a introduit un message enregistré à chaque fois qu’un appel téléphonique est passé sur la prévention de la COVID-19.
Au Sud-Soudan, la majeure partie de la population n’a pas facilement accès à Internet, à la télévision ni aux journaux. Radio Miraya est présente dans plus des deux tiers du pays, et 80 % des personnes qu’elle touche l’écoutent chaque jour. Radio Miraya diffuse des messages d’intérêt public, y compris des chansons écrites récemment par des artistes populaires sur les bonnes pratiques pour prévenir le déclenchement ou la propagation d’une éventuelle épidémie, telles que le lavage des mains et la distanciation physique.
Enfin, inspiré par lemiwashmyhands.org, UNICEF Asie de l’Est et Pacifique a persuadé les géants de la technologie de créer un emoji sur le lavage des mains et d’aider à diffuser l’importance du lavage des mains au cours des années à venir. Les scientifiques Nasim Lotfinejad et al affirment que les emojis sur l’hygiène des mains peuvent renforcer la prévention et la lutte contre les infections de diverses manières, notamment par la sensibilisation sans barrière linguistique.
2 – Maintenir les normes de transparence dans la passation de marchés publics d’urgence::
Les organismes gouvernementaux doivent rendre publiques les informations sur la passation de marchés publics d’urgence, y compris les montants (coûts unitaires et coût total) dépensés, dans quel but (biens et services achetés) au profit de qui (population cible et besoin), comment (procédure de passation de marché utilisée) et à qui elles sont destinées (contractant).
Les mesures d’urgence doivent inclure des mécanismes de plainte pour signaler les faits de corruption, les abus et autres malversations. Si les plaintes émanant du public peuvent s’avérer très efficaces contre les mauvais comportements dans la prestation de services directs, les dénonciations du personnel sont essentielles pour détecter les irrégularités dans les procédures administratives, notamment la passation de marchés, les paiements et la comptabilité. C’est pourquoi une bonne protection des dénonciateurs dans les institutions publiques est primordiale. Étant donné que les centres de service à la clientèle peuvent être fermés en raison du confinement, il convient de proposer des canaux alternatifs pour assurer la communication entre les services publics et les usagers, tels que les sites web, les médias sociaux, etc.
3 – Mettre en place un groupe de travail national de surveillance pour contrôler l’intégrité et la redevabilité de la riposte contre la COVID-19:
Composée d’experts issus d’organismes de lutte contre la corruption et de mise en œuvre de la redevabilité (y compris les organismes en charge des enquêtes, de la passation de marchés publics, des audits, les sentinelles de la société civile) et d’institutions sectorielles (santé, eau, affaires économiques), une telle structure peut superviser les dotations budgétaires, surveiller les signaux d’alerte dans leur utilisation et initier des enquêtes spéciales et des audits en temps réel si nécessaire, et en rendre compte au public.
Ce groupe de travail devrait en outre assurer le suivi et le contrôle :
- des transferts de fonds du gouvernement vers les prestataires de services
- des transferts de fonds en espèces du gouvernement aux ménages (aide universelle ou ciblée aux ménages vulnérables, comment ceux-ci sont ciblés, les conditions particulières)
- de la manière dont les prestataires de services investissent les ressources supplémentaires (par exemple, les transferts d’argent du gouvernement ou des donateurs, etc.) dans l’amélioration des services
Par ailleurs, le groupe de travail devra superviser les importants investissements financiers réalisés par les donateurs et les partenaires au développement pour améliorer l’accès à l’eau et aux dispositifs de lavage des mains. L’utilisation de ces fonds devra faire l’objet de suivi et un engagement clair doit être pris pour fournir des solutions durables et réalistes.
Une fois la phase d’urgence critique franchie, les mesures d’intervention doivent être soumises aux normes et procédures de rapportage, d’audit et de contrôle publics, ainsi qu’aux autres opérations gouvernementales. Il faut notamment s’assurer que les institutions d’audit, les autres organes de surveillance et les institutions sectorielles (y compris leurs fonctions d’audit interne et de conformité) disposent de ressources suffisantes pour réaliser des audits supplémentaires, effectuer des contrôles et produire des rapports à temps.
4 – Prendre des mesures contre l’apparition de nouveaux cartels de l’eau dans le cadre de l’approvisionnement d’urgence:
Des systèmes doivent être mis en place pour empêcher que de nouveaux cartels se développent ou que des cartels existants prennent le contrôle des dispositifs d’approvisionnement en eau d’urgence. Ces systèmes pourraient inclure le suivi par GPS et l’identification des camions-citernes, des mécanismes de plainte, la diffusion à grande échelle d’informations sur les tarifs et la gratuité de l’eau, et la rotation des conducteurs de camions-citernes. Dans la mesure du possible, le gouvernement devra travailler avec les fournisseurs d’eau informels pour améliorer leurs services et pour renforcer la transparence et la redevabilité de leurs prestations.
Des systèmes WASH solides constituent la première ligne de défense et la voie vers la résilience face aux crises, aux pandémies et aux changements climatiques. La corruption et le manque d’intégrité dans le secteur de l’eau et de l’assainissement sapent ces systèmes et le droit humain à l’eau et à l’assainissement. Nous appelons les gouvernements du monde entier à faire en sorte que le secteur de l’eau devienne dès aujourd’hui un îlot d’intégrité, pendant et après cette crise.
Lectures complémentaires:
Cinq principes des droits humains qui placent l’Homme au centre de la riposte contre la COVID-19 en matière d’eau, d’assainissement et d’hygiène (Wateraid, Anglais)
Intégrité publique pour une riposte et un relèvement efficaces après la COVID-19 (OECD, Anglais)
Le secteur de l’eau, de l’assainissement et de l’hygiène et sa riposte contre la Covid-19 : Initiatives en Amérique latine et dans les Caraïbes (SIWI, Anglais)
COVID-19 et crise de l’eau en milieu rural : pression sur le gouvernement Burkinabé (IRC WASH, Anglais)